Les gros navires

Venise a toujours, dans son histoire, commercé avec le reste du monde, et accueilli dans les passes de sa lagune des vaisseaux de toutes sortes, porteurs des richesses et des produits d'outre-mer.

Aujourd'hui, si l'on excepte les hideux navires de commerce qui empruntent les chenaux en eau profonde pour atteindre Marghera, les seuls gros navires qui fréquentent encore la Sérénissime sont les bateaux de croisière qui font escale à Venise au rythme de plusieurs centaines chaque année. L'été est, bien entendu, la période de l'année pendant laquelle le trafic est le plus intense (souvent une demi-douzaine de ces énormes navires chaque jour).

La plupart du temps, on ne les voit pas, ou presque : ils sont parqués à la stazione marittima, et la seule preuve de leur présence, ce sont les contingents de passagers-touristes qui, pour peu qu'on se trouve au mauvais endroit au mauvais moment, vont vous défiler sous les naseaux en rangs serrés, chacun dûment identifié par son T-shirt, son petit drapeau, son petit chapeau, ou simplement le regard anxieux qu'ils tiennent fixé sur leur guide (des fois qu'on se perdrait dans Venise...).

Je dis "la plupart du temps", parce qu'hélas ! une des figures imposées de l'escale vénitienne, c'est le départ en fin de journée, avec passage obligé, cette fois, par le bacino. Traînant leurs remorqueurs, ces gratte-ciels flottants défilent alors lentement devant les Zattere, à l'embouchure du Grand Canal, pour partir ensuite vers Sant'Elena et la passe d'accès à l'Adriatique. C'est un spectacle impressionnant, et l'on ne sait pas, en voyant évoluer ces monstres rutilants, s'il faut être scandalisé, admiratif, stupéfait... ou simplement réaliste (les faramineux droits d'accostage et les dépenses des croisiéristes —un bon millier de personnes par navire, avec un pouvoir d'achat moyen bien supérieur aux visiteurs qui arrivent par le train— constituent un apport non négligeable pour l'économie locale).

Mais quand même, ça fait peur...

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« Euh... chérie... Il y a un grand mur juste devant... »









L'étrave du remorqueur est certes moins élégante, mais... vous avez remarqué le petit gonfalon qui flotte fièrement ?




Carinthia VII appartient à Heidi Horten, veuve du milliardaire allemand Helmut Horten. C'est une habituée de Venise... et elle aime sûrement que le pont soit propre !




Mayan Queen, lui, appartient au milliardaire (évidemment mexicain) Alberto Bailleres, héritier d'une considérable fortune réalisée par son grand-père et son père, notamment dans les mines. Alberto, lui, n'a jamais rien gagné ; il dépense.

La terrasse de Nico est l'endroit idéal d'où admirer le coucher de soleil en dégustant un inévitable spritz (pour Madame), et un non moins inévitable gianduiotto (pour Monsieur). Pour les chips, on partagera :




Ce soir-là (c'était en mai), ce ne seront pas moins de trois paquebots (plus l'habituel gros ferry grec) qui passeront devant nous !

Quant à l'étrave de celui-ci, elle paraît carrément prête à écrabouiller le campanile de S. Francesco della Vigna !

Ici, la perspective transforme l'énorme Hilton - Molino Stucky en une demeure de hobbit, ou presque !




Et elle, toute seule à la proue pendant que la Sérénissime défile sous ses yeux, pense-t-elle à Titanic ?

Cet été encore, l'énormité de ces navires, leur disproportion par rapport à la taille humaine pour laquelle Venise a été construite, la manière dont ils défigurent odieusement le paysage, nous ont une nouvelle fois choqués. Et l'on en voit jusqu'à trois, parfois quatre de suite, qui paradent dans le bacino en quittant Venise en fin d'après-midi, menaçant la cité de leurs étraves immenses et de leur lourdes poupes entraînées par une inertie phénoménales, en dépit des efforts des remorqueurs... Entre trois et cinq mille touristes sur chacun de ces monstres, et même si l'on se dit qu'ils ont dû acquitter une sérieuse rançon pour faire escale ici, l'on ne peut s'empêcher de se demander si le jeu en vaut vraiment la chandelle...