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Un horrible assassinat... mais à la vénitienne !

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Un horrible assassinat... mais à la vénitienne ! Empty Un horrible assassinat... mais à la vénitienne !

Message par Dominique_R Ven 25 Sep - 0:01

Un beau matin de juin 1779, une certaine Angela, femme de chambre employée par la famille Nani, dont le palazzo se dresse sur la rive Est du rio San Trovaso à Dorsoduro, traverse le rio et le campo pour aller jusqu'au puits qui se trouve devant l'église du même nom. Aujourd'hui, ce campo est l'un des plus agréables de tout Venise, avec sa petite pelouse soigneusement tondue et ses arbres, certes récemment replantés, mais si rares dans cette ville, et tout laisse à penser qu'à l'époque, le lieu était également charmant.


Le palazzo Nani, qui abrite aujourd'hui des locaux universitaires (pas mal logés, les enseignants...) :
Un horrible assassinat... mais à la vénitienne ! Palazzonanisantrovaso

Le puits :
Un horrible assassinat... mais à la vénitienne ! Santrovaso2

Bref, ce matin-là, Angela ne parvient pas à ses fins : quelque chose semble coincé dans le puits et empêche le seau de descendre, mais il y fait trop sombre pour qu'elle puisse déceler de quoi il s'agit. Tout près se trouve un squero, un petit chantier naval où l'on construit les gondoles ; il existe d'ailleurs toujours.


Le squero :
Un horrible assassinat... mais à la vénitienne ! Squerosantrovaso

Un ouvrier de ce chantier, un squerarolo, passant par là, Angela lui demande de l'aide, et c'est alors que le malheureux garçon fait une épouvantable découverte : ce qui bloque le puits, c'est le torse ensanglanté d'un homme. Les bras sont toujours attachés, mais les jambes et la tête ont été sectionnées. affraid


Est-ce en souvenir de cette funeste découverte ? Toujours est-il qu'une tête grimaçante domine la porte qui donne accès au campanile de San Trovaso, à quelques mètres du terrible puits :
Un horrible assassinat... mais à la vénitienne ! Santrovaso1

On imagine l'émotion, pour ne pas dire la panique —sans parler de la contamination de la citerne, qu'il fallut certainement vider, puis remplir de nouveau à la faveur des pluies... pas évident au début de l'été ! Quoi qu'il en soit, cette macabre découverte ne sera pas la seule : quelques heures plus tard, la nouvelle s'étant répandue de par la ville comme la proverbiale traînée de poudre, ce sont les jambes que l'on retrouve dans un autre puits sur la Fondamenta del Malcanton, et le lendemain, on repêche coup sur coup une tête humaine dans le rio Santa Chiara, puis, à la mi-journée, on retrouve des entrailles humaines sur les Zattere.

L'horrible puzzle peut maintenant être reconstitué : toutes les pièces sont réunies.

Bien évidemment, la médecine légale de l'époque n'avait pas grand-chose à voir avec la nôtre, et cependant, une décision étonnamment moderne fut prise : on embauma la tête décapitée qui fut placée en vue du public, dans l'espoir que le défunt pourrait ainsi être identifié. Dans le même temps, on fit reproduire dans les gazettes de toute la région le texte d'une lettre qu'on retrouva étrangement avec la tête décapitée, ornant les cheveux. Cette lettre, signée V.F.G.C., fut promptement identifiée par un certain Giovanni Cestonaro, habitant Este à proximité de Padoue. Cet homme reconnut immédiatement sa propre signature (Vostro Fratello Giovanni Cestonaro) et se précipita à Venise où il reconnut non seulement que la lettre ornant les cheveux du mort avait bien été écrite par lui-même, mais encore que ledit mort n'était autre que son frère Francesco.

Interrogé par les autorités, il s'ouvrit des soupçons que son défunt frère entretenait à propos de son épouse Veneranda Porta, qui aurait eu une liaison avec un valet de pied de la famille Dolfin, Stefano Fantini. Interrogés à leur tour (non sans une certaine rudesse, on l'imagine), le couple Porta-Fantini confessa rapidement le crime : le malheureux Francesco Cestonaro avait été tué le 12 juin, son corps avait été découpé en morceaux et caché pendant une journée près du campiello dei Squelini avant d'être dispersé dans l'espoir de brouiller les pistes... plan qui s'effondra lorsque cette lettre retrouvée dans les cheveux de leur victime, mit rapidement les enquêteurs sur leurs traces.

Condamnés par la Quarantia Criminale, ils furent tous deux décapités le 10 janvier 1780.

Le rapide dénouement de cette ténébreuse affaire fut attribué sans tarder à l'aide de la Vierge, dont le gouvernement avait ordonné au début de l'affaire qu'elle soit exhibée dans la basilique St Marc, ainsi que dans toutes les églises de la ville, dans l'espoir d'une divine intervention. Il était donc fort logique que la rue où vivait l'infernale Veneranda (dont les aurtorités firent raser la maison) soit débaptisée et renommée calle della Madonna.


La calle della Madonna. Serait-ce par hasard sur l'emplacement de la maison maudite qu'on construisit cet immeuble ? pale
Un horrible assassinat... mais à la vénitienne ! Callemadonna


... ou celui-ci, qui semble bien lugubre...? pale pale
Un horrible assassinat... mais à la vénitienne ! Callemadonna2


Voilà l'histoire, telle qu'elle est rapportée en particulier par Alberto Toso Fei. Et maintenant, qu'est-ce qui fait donc de ce terrible fait divers une histoire typiquement vénitienne, c'est-à-dire dotée d'une certaine dose de dérision, au point qu'on ne sait plus où s'arrête la vérité, et où commence l'affabulation l'enjolivement artistique ? Plusieurs choses :

1. On comprend qu'une fois le crime commis, la victime a été découpée en morceaux (ce qui est, mine de rien, une tâche terriblement éprouvante sur le simple plan physique —sans parler des aspects psychologiques—, surtout avec les outils dont on pouvait disposer à l'époque) afin de retarder son identification. C'est, en théorie, une sage précaution, d'ailleurs bien étonnante de la part de criminels "novices" comme l'on en rencontre dans les affaires passionnelles. Mais quoi qu'il en soit, ayant eu cette idée, pourquoi diable les criminels sont-ils allés dissimuler les morceaux de leur malheureuse victime dans des endroits où on ne pouvait pas manquer de les découvrir ? On peut imaginer, tant sur la lagune que sur les îles à l'entour, de nombreuses lieux plus appropriés pour se débarrasser d'un cadavre, d'ailleurs sans devoir se donner le mal de le découper en morceaux !

L'ingéniosité de l'idée, juxtaposée à la bêtise crasse de la "dissimulation" (si l'on peut dire !), qui réduit à néant l'intérêt du stratagème, compose un cocktail vraiment bizarre.

2. Cette histoire de "lettre retrouvée dans la chevelure de la victime" dépasse l'entendement. Certes, on portait peu les cheveux en brosse à l'époque, et on imagine que les tignasses volumineuses et mal lavées pouvaient être relativement impénétrables. Pour autant, personne (sauf peut-être une femme de la noblesse portant une coiffure très complexe) n'aurait l'idée de dissimuler une lettre dans ses cheveux ! C'est exposé au vent, la relative blancheur du matériau va trancher avec la coloration pileuse plutôt sombre, bref on n'a jamais vu chose aussi incongrue et, pour tout dire, aussi improbable.

3. Il s'y ajoute que les bourreaux, ayant tranché la tête la victime, ont "travaillé" durement à proximité immédiate de ladite chevelure : couper une tête avec, au mieux, des couteaux de cuisine, est une terrible et longue besogne, pendant laquelle on a tout le temps de regarder son odieux ouvrage, pour lequel on va probablement saisir la tête par les cheveux afin de l'empêcher de rouler... et en dépit de tout cela, non seulement la lettre est resté sagement à sa place sans bouger, sans être vue, mais encore a-t-elle aussi tenu le coup lorsque la tête fut jetée dans le rio, puis repêchée... pour apparaître seulement lorsque le macabre vestige fut entre les mains des enquêteurs ?

Qui peut croire à cela ? Qui peut croire, cerise sur le gâteau, qu'en dépit de son immersion, cette lettre était restée tout à fait lisible, comme si son encre avait été protégée par miracle contre les effets de la dilution dans l'eau du rio ?

L'histoire, donc, est intéressante, mais à l'évidence, tout cela ne tient pas debout une seule seconde. N'ayant pas accès à la documentation originale, je ne puis m'aventurer à proposer une autre solution, mais si l'un de mes lecteurs veut s'y risquer... Wink


Un autre puits, beaucoup plus large, sur la partie Sud du campo San Trovaso. Je ne pense pas que celui-là soit celui évoqué dans l'histoire des amants découpeurs de mari, car un torse humain serait certainement passé sans blocage dans celui-ci :
Un horrible assassinat... mais à la vénitienne ! Santrovaso3
Dominique_R
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